N. 30 Octobre 2003 | Pour un pacte fédéral entre les pays fondateurs

1) L'impuissance de l'Europe et la nécessité d'une politique étrangère et de défense. 2) La Convention. 3) Règle de la majorité. 4) La nécessité d'un État européen. 4) Le noyau fédéral. 5) Les objections. 6) La difficulté du choix et l'alternative. 7) Le pacte fédéral. 8) Le contenu du pacte fédéral

L’impuissance de l’Europe et la nécessité d’une politique extérieure et de défense

L’Union européenne se trouve aujourd’hui confrontée à plusieurs impasses, politiques et économiques. Mais l’occupation de l’Irak par les troupes américaines et britanniques qui a fait suite aux crises dans les Balkans, a mis en lumière, avec une évidence dramatique, que le problème de l’unité politique de l’Europe ne met pas seulement en jeu le bien-être des Européens et leur retard technologique à l‘égard des Etats-Unis mais qu’il s’agit, comme l’ex-Chancelier Kohl ne se lassait pas de le répéter durant les dernières années de son mandat, d’une question de paix ou de guerre. L’Europe a démontré son incapacité totale à jouer un rôle quelconque dans l’équilibre international. Ses peuples voulaient la paix, mais ses gouvernements n’ont pas pu faire valoir concrètement cette requête. Certains d’entre eux ont préféré braver leur propre opinion publique afin de ne pas courir le risque d’être privés de la bienveillance de la puissance impériale. D’autres se sont opposés aux positions américaines, mais leur impuissance leur a permis seulement d’empêcher que l’attaque préventive des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne obtienne l’aval du Conseil de Sécurité qui n’a, en aucune manière, pu éviter les évènements qui ont suivi.

Certes, l’hégémonie américaine sur l’Europe n’est pas un fait récent. Elle date au moins de la fin de la deuxième guerre mondiale. Mais pendant tout le temps qu’a duré la guerre froide, elle a été partiellement masquée par l’engagement commun pour contenir la puissance soviétique et par la coïncidence entre les intérêts des Etats-Unis et ceux de l’Europe. Cette coïncidence a cessé d’exister avec la fin de la guerre froide et la tâche que les Etats-Unis se sont trouvé dans l’obligation d’exercer a consisté à garantir une certaine forme d’ordre mondial, pour précaire qu’il soit, en étendant leur hégémonie à la planète entière. C’est dans ce cadre que la condition de vassaux des Etats européens est devenue dramatiquement évidente ainsi que la conscience du fait que la cause de l’incapacité d’agir de l’Europe résidait dans sa division est devenue aiguë pour la partie la plus réceptive de l’opinion publique. Et c’est ainsi que l’exigence que l’Europe parle d’une seule voix s’est développée et diffusée.

La Convention

Beaucoup ont cru que la Convention, qui a depuis peu terminé ses travaux, pouvait apporter une réponse à ces aspirations. Ils se sont trompés. La Convention n’a produit que ce qui lui avait été demandé par le Conseil européen de Laeken : un très modeste toilettage des traités précédents. Parmi les innovations institutionnelles qu’elle a proposées, et qui sont par ailleurs toutes d’une importance minime, celles qui ont un rapport apparent avec la politique extérieure (mais pas avec la défense, à laquelle se réfèrent les dispositions tout à fait anodines de l’art. I – 40) sont les règles relatives au Président du Conseil européen (qui ne devra pas être un chef de gouvernement en activité, qui devra se consacrer à sa tâche à temps plein et aura un mandat de deux ans et demi, renouvelable une fois) et la création du soi-disant Ministre des affaires extérieures de l’Union (qui sera nommé par les gouvernements et qui sera en même temps Vice-président de la Commission et réunira les prérogatives du soi-disant M. PESC et du Commissaire chargé des rapports extérieurs de l’Union).

Il n’est pas besoin d’une argumentation élaborée pour démontrer qu’en présence de vingt-cinq Etats membres qui maintiennent intacte leur souveraineté et qui ont donc chacun une propre politique extérieure et conservent le contrôle des instruments qui servent à la réaliser, ces personnages seront de simples figurants. Ils seront condamnés à l’inaction et à l’impuissance du fait qu’ils devront interpréter les orientations divergentes de vingt-cinq Etats souverains. Il suffit de penser à ce qu’aurait pu faire un Président ou un Ministre des affaires extérieures de l’Union face aux attitudes opposées de la Grande-Bretagne et de la France à l’occasion de la guerre en Irak.

La règle de la majorité

Beaucoup estiment cependant que le jugement à porter sur les travaux de la Convention aurait été bien différent si elle avait proposé la règle de la majorité (et si la Conférence intergouvernementale l’avait acceptée) en matière de politique extérieure et de défense (en plus du domaine de la fiscalité). Cette opinion est manifestement aussi erronée. En vérité, la capacité d’agir de l’Europe en matière de politique extérieure et de défense n’est pas une question de règles mais de pouvoir. Il va de soi qu’en matière de politique extérieure et de défense des décisions doivent être prises (même si c’est le plus souvent par un gouvernement et non par un organe législatif, sauf dans certains cas particuliers). Et une fois prises, elles doivent être exécutées. Il s’agit de deux aspects qui coïncident dans l’action gouvernementaled’un Etat parce que, dans un Etat, celui qui détient la majorité dispose par là-même des instruments de pouvoir nécessaires pour imposer l’exécution des décisions prises. Mais ils ne coïncident pas du tout dans une confédération d’Etats souverains, comme l’Union européenne actuelle. Dans ce cas, le pouvoir d’exécuter les décisions n’appartient pas aux institutions de l’Union qui les prennent, mais aux gouvernements des Etats qui font partie de l’Union et qui, dans les domaines importants, se réservent le droit de les exécuter ou pas, au gré de leurs propres intérêts. Du reste, la règle de la majorité fut effectivement appliquée dans les treize ex-colonies anglaises d’Amérique du Nord lorsque, de 1781 à 1787, les Articles of Confederation étaient en vigueur, et leur échec mit en évidence l’exigence d’unir lestreize ex-colonies dans une more perfect union. Dans cette circonstance les Etats qui restaient à chaque fois minorita ires, surtout dans les décisions relatives à l’approvisionnement de l’armée de la Confédération en contingents militaires et le paiement des contributions financières les concernant, refusaient systématiquement d’appliquer les décisions prises par le Congrès.

Il ne faut pas oublier que, dans une confédération, la non-exécution de la part d’un ou de plusieurs Etats d’une décision prise constitue un facteur fortement destructeur, qui mine l’existence même de l’Union. Ils s’ensuit que sa cohésion, si faible soit-elle, dépend uniquement du consensus des Etats membres et donc de l’observation, en droit et en fait, de la règle de l’unanimité. Il ne faut pas oublier que les gouvernements des Etats membres d’une confédération sont démocratiquement responsables devant leurs électeurs et que, si les organes de la confédération prenaient des décisions très impopulaires, ce seraient les gouvernements des Etats membres qui subiraient les conséquences de l’insatisfaction et des protestations des citoyens et des groupes d’intérêts qu’ils constituent. Dans des cas graves, c’est même l’ordre public, dont le maintien est de la responsabilité des Etats, et non certes de la Confédération, qui pourrait être mis en danger.

Il est vrai que l’Union européenne est bien plus solide et organisée que l’union des ex-colonies anglaises des années 1781-1787. C’est pour cela qu’au sein de l’Union européenne la règle de la majorité, dans les domaines importants, n’est même pas prévue. Et même si elle est prévue pour les décisions non essentielles, elle n’est en fait pratiquement pas appliquée. On utilise au contraire la voie du marchandage et du compromis de sorte que tout sacrifice d’un gouvernement dans un secteur donné soit compensé par un avantage pour ce même gouvernement dans un autre secteur. Et c’est ainsi que pratiquement toutes les décisions sont prises à l’unanimité.

Nécessité d’un Etat européen

Il est évident que les modalités de l’exécution des décisions conditionnent la manière dont elles sont prises et même leur contenu. Les décisions d’une union d’Etats souverains sont des compromis entre les intérêts de tous les gouvernements. Et le profil de ces compromis est d’autant plus bas que les Etats qui participent au processus décisionnel sont nombreux et hétérogènes. Aucune confédération ne peut avoir une politique extérieure efficace, mais il est clair qu’une confédération de vingt-cinq Etats, avec des contextes géo-politiques parfois diamétralement opposés, ne pourra même pas en avoir l’apparence. Il faut donc prendre acte du fait que, pour que l’Europe puisse faire entendre sa voix dans le monde et exprimer la volonté de paix de ses citoyens, ni un Président du Conseil avec un mandat plus long, ni un «Ministre des affaires extérieures» européen, ni l’introduction de la règle de la majorité dans les domaines de la politique extérieure et de la défense (ni dans celui, plus accessoire, de la fiscalité) ne serviront à rien. Le problème concerne la souveraineté, c’est à dire la création d’un véritable Etat fédéral, certes décentralisé en tant que fédéral, mais dans lequel la capacité de prendre des décisions ne soit pas disjointe du pouvoir de les exécuter. Et parler d’un Etat signifie parler du monopole de la force physique, c’est à dire du désarmement des Etats membres et du contrôle exclusif par un gouvernement européen d’une armée européenne unique ; et sûrement pas de la création d’une soi-disant « force d’intervention rapide » de soixante mille hommes dont le commandant serait responsable devant vingt-cinq chefs d’Etat et de gouvernements dont il recevrait les directives pour son action. Soit dit en passant, si un véritable Etat européen voyait le jour, il serait vain de discuter de l’opportunité de maintenir un lien institutionnel avec les Etats-Unis d’Amérique. Un Etat fédéral européen serait en mesure de garantir sa propre défense. Il passerait certainement des accords et des alliances mais il suivrait tour à tour des politiques conformes ou opposées à celles des Etats-Unis d’Amérique selon la nature des intérêts en jeu.

Le noyau fédéral

Un Etat européen ne pourra pas être fondé dans le cadre des institutions actuelles même s’il sera possible, après sa fondation, de le réinsérer dans ce cadre. Du reste, imaginer sa création sur la base du consensus des gouvernements des vingt-cinq pays, dans la majeur partie desquels l’opinion publique est expressément contre toute avancée vers une quelconque forme d’union politique et dont le degré d’intégration et les traditions en matière de politique extérieure et de défense sont très diversifiées, serait pure folie. Pour qu’un Etat fédéral européen puisse être fondé, il faut qu’un groupe de pays avec une grande cohésion, une forte interdépendance économique et sociale et une opinion publique manifestant un degré avancé de maturité européenne en prenne l’initiative. Ce groupe ne peut être constitué que par les pays fondateurs de la Communauté européenne initiale. Il s’est déjà manifesté même si c’était de façon embryonnaire, malgré les ambiguïtés connues du gouvernement italien. Mais il est clair que l’initiative que ce groupe doit prendre ne doit pas se limiter à une impulsion générique ni à la proposition d’un projet qui serait à négocier avec les autres membres de l’Union. Elle doit au contraire consister dans la création d’un noyau fédéral à proposer sans négociations ultérieures, après l’adoption définitive de sa constitution, à l’adhésion des autres membres de l’Union qui seraient disposés à y entrer.

Il faut redire que cette démarche devra s’engager en dehors des institutions de l’Union. Imaginer qu’un noyau fédéral puisse se mettre en place dans ce cadre, au moyen des coopérations renforcées (ou maintenant “structurées”), signifie essayer hypocritement de neutraliser l’initiative en la déviant sur une fausse piste. Les coopérations structurées ne sont que la manifestation actualisée de la vieille idée de l’Europe à la carte. Leur mécanisme pré voit la formation de groupes de pays d’une composition diverse selon les cas pour réaliser divers objectifs ; et ils doivent y être autorisés par tous les pays faisant partie de l’Union européenne. La naissance hypothétique d’un noyau fédéral, selon cette procédure, devrait donc obtenir le consensus, y compris des pays qui y seraient opposés, et donner lieu à une entité compatible avec la structure institutionnelle et les lois de l’Union. Tout cela est clairement impossible. La naissance du noyau fédéral ne peut qu’être l’expression d’une volonté politique forte et unanime des pays qui veulent en faire partie et donner lieu à un véritable acte de rupture, tout comme l’unification allemande a constitué, de fait, un acte de rupture dont les gouvernements des autres Etats membres de la Communauté ont dû prendre acte en adaptant après coup les règles de la Communauté à la nouvelle réalité.

Objections

Deux objections sont habituellement adressées au projet de noyau fédéral. La première est qu’il divise au lieu d’unir en excluant du noyau, dans une première phase, la majorité des pays de l’Union. Rien n’est plus faux. L’idée du noyau fédéral est née justement de la constatation qu’une union politique est impossible dans le contexte d’un ensemble formé de vingt-cinq Etats. Demander que le gouvernement anglais, le gouvernement espagnol ou ceux d’Europe de l’Est prennent, avec les pays fondateurs, l’initiative de s’unir par un lien fédéral, est simplement abracadabrant. Mais beaucoup d’entre eux et, à moyen terme, tous, ne pourront pas ne pas s’unir à un Etat fédéral qui existerait déjà. Il faut donc réaliser que le noyau fédéral aurait pour fonction d’être le moteur de l’Union et qu’il serait le seul instrument en mesure de donner un contenu et une issue politique à l’élargissement en empêchant qu’il débouche sur une totale ingouvernabilité de l’Union, l’inapplicabilité de ses règles et sa décomposition finale après sa transformation en une zone de libre-échange. Le noyau serait donc un facteur décisif de promotion de cette unité de l’Europe dans son ensemble, que l’Union actuelle est totalement incapable de garantir.

La seconde, c’est que dans aucun des pays fondateurs, il n’existe actuellement la volonté politique forte nécessaire pour construire un noyau fédéral. C’est vrai, d’autant plus que le gouvernement de l’un d’entre eux est dirigé par un personnage tel que M. Berlusconi et qu’il comporte trois ministres appartenant à la Ligue. Mais, si la volonté de créer le noyau n’existe pas aujourd’hui sous son expression définitive, il est réaliste de penser qu’elle se formera si on en crée les conditions. Et leur création dépendra à son tour du cadre dans lequel le problème de la réforme des institutions de l’Union sera posé, parce c’est seulement dans le cadre d’un groupe restreint et cohérent de pays que les crises qui se sont abattues avec une fréquence et une force croissantes sur l’Europe tendront, comme c’est déjà en partie le cas aujourd’hui, à susciter les mêmes réactions et à trouver une réponse plus ouverte et plus rapide de la part de l’opinion publique. C’est pour cela que le groupe des pays fondateurs est le seul dans lequel il est aujourd’hui raisonnable et possible de se battre pour la fondation d’un Etat fédéral européen.

La difficulté du choix et l’alternative

Le fait est qu’il s’agit d’une bataille d’une grande difficulté. La souveraineté nationale s’est enracinée en Europe au cours des siècles. Elle conditionne le comportement des gouvernements, de la classe politique, des media et de l’opinion publique. Mais le problème est maintenant devenu dramatiquement aigu. Et il ne faut pas oublier quelle est l’alternative à son absence de solution : il s’agit de la transformation de l’Europe en un ensemble d’Etats vassaux de la puissance hégémonique, condamnés à l’impuissance et à l’appauvrissement et, en dernière analyse à l’abandon d’un rôle majeur dans le cours de l’histoire. Cela s’est produit dans le passé dans toutes les régions du monde qui n’ont pas su adapter à temps les dimensions de l’Etat aux exigences posées par l’évolution des événements, comme la Grèce à l’époque de la conquête macédonienne puis romaine et l’Italie de la Renaissance. L’Europe, à moins d’une inversion drastique de tendance, est en train de s’acheminer vers sa propre sud-américanisation : elle doit décider si elle se résigne à sa propre décadence en suivant bêtement la ligne de l’inertie et de la subordination ou si elle s’y oppose en suivant celle plus ardue de l’unification politique.

Le Pacte fédéral

L’histoire de l’unification européenne a été une histoire de corruption des mots. Surtout ces derniers temps, pour donner à l’opinion publique l’illusion qu’un processus en voie d’épuisement était au contraire en train d’avancer vers une issue positive, on a modifié et banalisé la signification de termes tels que « Fédération » et « Constitution ». Il est donc important de souligner que la Fédération est un Etat doté de la prérogative de la souveraineté et par conséquent du monopole de la force physique et qu’il n’y a pas de constitution qui ne soit la constitution d’un Etat. Mais il est tout aussi important de soustraire aussi à cette corruption le terme d’Etat qui perdrait ses connotations essentielles si on laissait passer le mensonge selon lequel l’Etat s’identifierait avec l’extension du principe de la majorité à la politique extérieure et de la défense (ainsi qu’à la fiscalité).

De la même manière il est important de mettre au clair que l’union de plusieurs Etats nationaux en un Etat fédéral européen unique, au-delà des problèmes liés aux dimensions du cadre, ne pourra jamais naître des délibérations d’une assemblée. Les protagonistes de la création d’un Etat fédéral ne pourront qu’être ceux qui disposent du plus haut niveau de responsabilité politique, c’est à dire les gouvernants. Ceux-ci exercent le pouvoir réel et ils peuvent donc le transférer à une nouvelle entité, même si leur initiative ne peut se manifester que dans une situation exceptionnelle, sur la base d’une forte pression du peuple, seul détenteur ultime du pouvoir constituant, et dans un climat de débat qui impliquera la classe politique dans son ensemble. L’élaboration de sa constitution, c’est à dire la formulation des règles qui géreront la vie de cette nouvelle unité une fois qu’elle aura été créée, est une autre chose : dans tous les cas le pactum unionis ne coïncide pas avec le pactum constitutionis. C’est du reste, dans un contexte non fédéral, ce qui s’est passé àl’occasion de la reconstitution de l’Etat républicain après la seconde guerre mondiale en France et en Italie où le gouvernement républicain a d’abord été constitué et une constitution adoptée par la suite.

Le premier noyau d’un Etat européen ne peut donc naître que d’un Pacte fédéral, stipulé par les gouvernements des pays fondateurs, avec lequel le transfert de souveraineté se réalisera. Il créera un gouvernement provisoire qui contrôlera l’armée européenne et procèdera ensuite à la convocation d’une Assemblée constituante

Le contenu du Pacte fédéral

On ne peut évidemment pas, dans ce cadre, aller au-delà d’une indication sommaire du contenu du Pacte fédéral qui devra être complété, perfectionné et corrigé par ceux qui disposent des connaissances techniques indispensables. Une première formulation est cependant nécessaire pour mettre en lumière la nature des problèmes à aborder, c’est à dire pour faire apparaître clairement ce que signifie créer un Etat fédéral européen et pour empêcher que l’on joue sur l’ambiguïté d’expressions telles que « Fédération d’Etats-nation». On mettra ainsi nettement en évidence la difficulté de l’objectif à atteindre. Le projet sera donc considéré par la plupart des gens qui en prendront connaissance comme un rêve ou un pur exercice théorique. Mais le fait est que, si les Européens veulent réaliser l’objectif de l’unité politique de l’Europe, qui a guidé tout le processus de l’intégration, ils doivent aborder et résoudre ces problèmes-là, parce qu’il n’y a pas d’autre moyen pour relancer le processus et empêcher son déclin rapide et inexorable. En revanche, estimer que le projet de noyau fédéral est une pure utopie et que l’opinion publique des pays fondateurs ainsi que la classe politique qui la représente ne sont en aucun cas en mesure d’exprimer les énergies et la volonté nécessaires pour le réaliser, signifie que l’on se résigne alors à la déconfiture du processus de l’unification européenne et, en conséquence, à la crise des institutions démocratiques et à la dégradation de la vie sociale dans les pays du continent. L’Europe s’achemine vers une crise radicale : et des situations radicales nécessitent des réponses radicales. Du reste l’histoire alterne entre des phases d’évolution lente et des phases de transformations rapides et profondes. Dans ces dernières, ce qui dans des périodes normales semblerait utopique, devient réaliste. Nous sommes donc confrontés à une bataille difficile mais qui est la seule pour laquelle il vaut la peine de se battre.

Voici donc les points fondamentaux qui devraient constituer le contenu du Pacte fédéral :

1. Les gouvernements des pays fondateurs conviennent d’unir leurs Etats en un Pacte fédéral créant un Etat fédéral dénommé « Etats-Unis d’Europe ».

2. Les Etats-Unis d’Europe seront dirigés par un gouvernement provisoire composé des chefs d’Etat et de gouvernements signataires du Pacte.

3. Le gouvernement provisoire des Etats-Unis d’Europe sera composé du Président, d’un Vice-Président et de quatre ministres qui auront respectivement comme compétence les affaires extérieures, la défense, l’économie et les finances, les rapports avec l’Union européenne et les Etats membres.

4. Les affaires extérieures et la défense seront de la compétence exclusive du gouvernement provisoire des Etats-Unis d’Europe et dans ces domaines il aura les pleins pouvoirs ; l’économie et les finances seront gérées d’une manière partagée et en collaboration avec les institutions nationales et européennes ; les rapports avec l’Union européenne et avec les Etats membres seront gérés selon les modalités rendues nécessaires par la nature des problèmes à résoudre.

5. Le Président et le Vice-Président du gouvernement provisoire seront nommés, ainsi que les ministères seront attribués, dans le Pacte.

6. Le gouvernement provisoire portera sa composition à douze membres dans les plus brefs délais par une procédure de cooptation en adjoignant à chacun des ministres ainsi qu’au Président et au Vice-Président, un sous-secrétaire choisi dans chacun des Etats contractants, de préférence dans le camp des partis d’opposition. Chacun d’eux exercera ses fonctions dans un ministère différent de celui géré par le Chef d’Etat ou de gouvernement respectif.

7. La succession des membres du gouvernement provisoire des Etats-Unis d’Europe aux affaires des gouvernement nationaux respectifs sera organisée selon les règles en vigueur au sein de chacun d’entre eux.

8. L’armée, la marine, l’aviation et la gendarmerie nationales seront unifiées dans une armée européenne unique dont le chef suprême sera le Président du gouvernement provisoire des Etats-Unis d’Europe. L’armée européenne passera sous le commandement d’un Etat-major européen dont les chefs d’Etat-major et d’autres officiers de haut rang de chacun des pays qui auront souscrit le Pacte feront partie. Le chef d’Etat major général sera responsable devant le ministre de la défense du gouvernement provisoire. Le Chef d’Etat-major général sera nommé dans le Pacte.

9. Les ministères des affaires extérieures et de la défense des Etats dont les gouvernements auront souscrit le Pacte, seront automatiquement supprimés. Les budgets respectifs se fondront dans le budget du gouvernement provisoire des Etats-Unis d’Europe.

10. Entretemps, les représentations diplomatiques et consulaires des Etats qui auront souscrit le Pacte seront unifiés dans les plus brefs délais. D’ici là chacune d’elles représentera non plus un seul Etat membre mais les Etats-Unis  d’Europe.

11. Le ministre de l’économie et des finances sera autorisé à émettre un emprunt public selon les modalités définies par le gouvernement provisoire sur proposition de ce même ministre.

12. Jusqu’à la première élection générale qui sera fixée au terme des travaux de l’Assemblée constituante mentionnée au point suivant, le contrôle parlementaire sur l’activité du gouvernement provisoire des Etats-Unis  d’Europe sera exercé, d’une manière consultative, par les députés au Parlement européen, appartenant aux Etats qui auront souscrit le Pacte fédéral.

13. Dans les deux mois qui suivront l’achèvement du processus de ratification  du Pacte fédéral (voir point 15), le gouvernement provisoire des Etats-Unis d’Europe fixera l’élection, avec un système électoral uniforme, d’une Assemblée constituante dont le mandat consistera à rédiger la constitution des Etats-Unis d’Europe. Ils devront prendre la forme d’un Etat fédéral fondé sur le principe de subsidiarité, dans lequel les institutions européennes disposeront au moins des pouvoirs relatifs à la politique extérieure et à la défense, aux grandes lignes de la politique économique et des infrastructures ainsi que de la politique de la recherche scientifique et du développement technologique ; le chef de l’exécutif, ou l’exécutif dans son ensemble, devra être démocratiquement responsable devant l’électorat ou devant le Parlement (ou devant l’une de ses branches) : il devra donc être élu par les citoyens ou par le Parlement; le pouvoir législatif sera confié à un Parlement bicaméral dont une branche représente ra proportionnellement les citoyens et l’autre les Etats; le pouvoir judiciaire suprême s’exprimera dans une Cour de justice dont la tâche consistera à interpréter la Constitution en déclarant la nullité des lois qui entreront en conflit avec elle ; la Constitution devra être amendable à travers une procédure qui n’implique pas l’unanimité du consensus des Etats membres ; le droit de sécession sera exclu ; les institutions européennes seront dotées d’un pouvoir d’imposition autonome ou exercé en collaboration avec celui des Etats membres, des régions et des pouvoirs locaux ; la Constitution comprendra une mesure transitoire qui permettra à tous les Etats de l’Union européenne qui n’auront pas souscrit la Pacte, de devenir membres des Etats-Unis d’Europe s’ils en acceptent la Constitution et les obligations qui en découlent. La Constitution élaborée par l’Assemblée constituante sera soumise à un référendum populaire.

14. Les Etats-Unis d’Europe continueront à faire partie de l’Union européenne et de l’Union monétaire européenne, tant que les institutions respectives ne s’y opposeront pas. Le ministre des Etats-Unis d’Europe chargé des rapports avec l’Union européenne entamera sans retard les tractations avec les autorités de l’Union européenne pour se mettre d’accord sur les conditions auxquelles une telle participation pourra continuer.

15. Le Pacte sera soumis à la ratification des Etats dont les représentants l’auront souscrit selon les modalités prévues par la Constitution de chacun d’eux et il entrera en vigueur entre les Etats qui l’auront ratifié à condition qu’ils représentent au moins les cinq sixièmes des Etats qui l’ont souscrit et les trois quarts de l’ensemble de la population de ces derniers.

Publius

Plus d'infos