N. 9 Mai 1999 | Appel aux dirigeants européens pour mettre fin à la guerre du Kosovo

La clé pour résoudre la tragique affaire yougoslave reste entre les mains de l'Europe, à condition que les dirigeants des pays de l'Union comprennent que, seulement la réalisation d'une Union fédérale à court terme permettrait de sortir d'une situation qui a ramené la guerre au cœur de l'Europe.

La guerre du Kosovo, avec les horreurs de la purification ethnique qui l’accompagnent et les destructions insensées qu’elle est en train de provoquer, doit nous amener à faire quelques réflexions :

1) Les gouvernements de l’Union européenne portent une lourde responsabilité dans les évènement qui ont conduit à la désagrégation de la Yougoslavie et qui atteignent leur apogée avec la folie du conflit actuel. Avant 1991, la Yougoslavie était un pays parcouru par des tensions mais dans lequel existait un consensus diffus et enraciné à l’égard de la Fédération ainsi qu’une aspiration à la démocratie beaucoup plus forte que celle qui se manifestait dans les pays de l’Europe centrale et orientale, directement soumis à l’hégémonie soviétique. Si l’Union européenne avait activement découragé les tendances sécessionnistes et encouragé les aspirations à la démocratisation, en utilisant comme arme la perspective d’adhésio n de la Yougoslavie à l’Union, elle aurait évité la crise Yougoslave ainsi que les ruines et les deuils qui s’en sont suivis. Au contraire, les gouvernements de l’Europe occidentale ont conduit dans les Balkans, chacun pour son propre compte, une “politique de puissance” incroyablement myope, en cachant leurs propres ambitions territoriales derrière le paravent du principe néfaste de l’autodétermination des peuples .Ils ont ainsi favorisé la désagégation d’un pays voué à un avenir de liberté et de prospérité et donné leur aval à la barbarie de la purification ethnique.

2) La guerre, quelles que soient les étapes et les modalités de son développement ultérieur et de sa conclusion, laissera la Yougoslavie dans une situation pire que celle dans laquelle elle se trouvait avant que la guerre commence. Un “protectorat” à caractère colonial ne pourrait être que fragile et de courte durée. L’idée que l’actuelle Yougoslavie puisse d’une manière impromptue devenir démocratique et pro-occidentale dès la fin des hostilités est tout à fait injustifiée,parce que la guerre est en train de renforcer le nationalisme serbe et le ressentiment anti-occidental de la population, quelque soit le destin personnel de Milosevic. L’indépendance du Kosovo, avec ou sans son annexion à l’Albanie, constituerait une énième affirmation absurdedu droit des peuples à l’autodétermination et ouvriraitla voie à une phase de purification ethnique dans un sens inverse à celle qui sévit actuellement. Toute tentativede justifier la guerre par des motivations idéologiques est donc tout à fait fallacieuse.

3) Il est aussi hors de question de prendre prétexte de la guerre actuelle pour se livrer à des exercices stériles d’anti-américanisme. Les Américains auraient été très heureux de ne pas être impliqués dans la crise yougoslave. Ils avaient été appelés en Bosnie en 1995 par les Européens, épouvantés par leur propre impuissance et leur incapacité à venir à bout d’un conflit qu’ils avaient eux-mêmes alimenté. Le fait est qu’il n’est jamais apparu à l’évidence autant qu’aujourd’hui que les gouvernements européens n’ont pas la moindre voix au chapitre lorsqu’il s’agit de décider de la paix et de la guerre en Europe, c’est à dire de la vie de leurs citoyens. Le fait est que le seul projet politique qui guide aujourd’hui la conduite de la guerre, de la part des Etats-Unis, consiste à démontrer avec l’argument des bombes le caractère indiscutable de leur hégémonie mondiale. Mais la guerre au Kosovo a, de fait, fourni la démonstration inverse. Une hégémonie qui doit s’affirmer par des bombes est une hégémonie en crise, parce qu’elle n’est pas acceptée par ceux qui la subissent. La conduite irrationelle des Etats-Unis, dans le déclenchement de la guerre et dans leur manière de la mener constitue seulement la démonstration du fait que les responsabilités mondiales auxquelles ils sont confrontés sont devenues désormais trop importantes pour leur pouvoir.

4) Quoi qu’il en soit, la solution de la tragédie yougoslave reste entre les mains de l’Europe, pour peu que les gouvernants des pays de l’Union sachent tirer la leçon de la guerre et réalisent que c’est seulement avec l’unité politique qu’ils pourront permettre à la Yougoslavie de sortir de l’impasse dans laquelle elle se trouve, garantir la paix sur le continent et soulager les Etats-Unis d’une part considérable des responsabilités mondiales sous le poids desquelles ils risquent d’être écrasés. Les gouvernements européens devraient trouver le courage et la lucidité de prendre, à court terme, des décisions radicales en étant conscients que, si l’opinion yougoslave était confrontée à un projet constructif plutôt qu’à la seule réalité des bombes, elle ne manquerait pas d’exprimer une position clairement en faveur de la démocratie et de l’union entre les peuples. Ils devraient , après avoir obtenu des Etats-Unis la cessation des bombardements et après s’être de toute façon dissociés des opérations de guerre, lancer un plan articulé autour des points suivants :

a) Proclamer et soumettre à la ratification des organes nationaux compétents la transformation de l’Union européenne en une union fédérale, en confiant en même temps au Parlement européen le mandat d’en rédiger la constitution, ou alors en engageant un processus pour l’élection d’une assemblée constituante.

b) Offrir dans ce contexte à toutes les républiques de l’ex-Yougoslavie de devenir, après une période transitoire d’une durée définie et sous la condition absolue qu’elles se dotent d’institutions démocratiques, un unique Etat menbre de la Fédération européenne (doté bien entendu d’une structure fédérale propre). Cette offre devrait être accompagnée d’un appel aux citoyens de toutes les républiques de l’ex-Yougoslavie pour qu’ils se mobilisent en faveur de l’Europe et de la démocratie;

c) lancer un programme européen massif de reconstruction de toute la région dévastée par cette  guerre,  dans le  cadre  d’un  plan  plus  vaste  d’aide au developpement de toute la région balkanique.

Il va de soi que si certains gouvernements européens n’acceptaient pas ce plan, les autres devraient agir seuls.

Il s’agit  d’une  proposition  radicale  que  beaucoup considèreront comme irréalisable. Mais si elle n’est pas réalisée, cela ne dépendra que de l’absence de volonté de la réaliser de la part des gouvernements de l’Union. Elle constitue la seule manière de sortir de la crise. Dans les moments cruciaux de l’histoire, tous les choix sont difficiles. Tout dépend du fait qu’il y ait ou non des hommes politiques qui soient à la hauteur de l’importance des choix à réaliser.

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