Une grande responsabilité pèse sur le nouveau Parlement européen tout juste installé. La prochaine législature devra savoir conclure le processus de transformation de l’Union monétaire en une véritable union politique ; ou au contraire, elle accompagnera la fin du projet européen.
La radicalisation de la confrontation qui a accompagné la campagne électorale s’explique, en dernière instance, justement en référence à l’importance particulière que revêt cette législature. Et l’évaluation des résultats électoraux européens doit, sous cet aspect, être positive. La vague eurosceptique tant redoutée, n’a pas assumé des dimensions suffisantes pour bloquer le processus ; tandis que, justement, les connotations assumées par la confrontation entre forces pro-européennes et forces contraires ont rendu évident le consensus de fond de la très grande majorité des citoyens avec le projet d’une intégration supranationale plus étroite.
Les deux conséquences les plus significatives du climat créé à la suite de la campagne électorale sont la nomination de Juncker à la présidence de la Commission et le retour sur la scène européenne de l’Italie, après deux décennies durant lesquelles ce pays a surtout constitué un problème pour l’Europe.
L’affrontement sur la nomination de Juncker qui, lors des altercations pré-électorales semblait préfigurer une confrontation entre institutions européennes, en particulier entre le Parlement et le Conseil européen, est devenu, après les élections, un affrontement entre les gouvernements favorables à approfondir l’intégration et les gouvernements opposés. La Grande Bretagne, en s’isolant, a même demandé que soit inséré dans le communiqué final de la réunion que « le Conseil a remarqué que le concept d’union toujours plus étroite laisse la place à des parcours différents, permettant à ceux qui souhaitent approfondir l’intégration d’aller de l’avant dans ce sens et en respectant dans le même temps le désir de ceux qui ne souhaitent pas aller au-delà, dans l’intégration ». La nomination de Juncker est donc une double confirmation : de la volonté, au delà des hésitations sur la manière de procéder, des pays de la zone euro de poursuivre, au cours de cette législature, vers une intégration plus profonde ; et des difficultés de Cameron, impuissant face au processus d’approfondissement de l’union monétaire et, dans le même temps, aux abois en raison des humeurs d’une opinion publique intérieure désireuse de se libérer même des règles du marché unique et disposée, ainsi, à mettre en danger les intérêts les plus importants du pays.
Le cas de l’Italie est tout aussi significatif. Ces élections, caractérisées par un affrontement radical autour de la question européenne, ont finalement mis en évidence la volonté majoritaire dans le pays, de s’engager pour la modernisation et la réforme nationale et pour une intégration européenne plus solide. L’effet immédiat a été double : il a rétabli un climat de confiance avec les partenaires européens qui ont salué ce passage avec un soulagement extraordinaire ; et, vu le consensus interne et le poids européen acquis par le principal parti de gouvernement et de son leader, il a rendu à l’Italie la possibilité concrète de jouer un rôle moteur en Europe, dans la veine de la meilleure tradition du pays.
La coïncidence avec l’avènement du semestre de présidence italienne de l’Union a amplifié cette conjoncture. L’Italie a présenté un programme dont ressortent deux lignes directrices qui ne peuvent pas être disjointes : d’un côté la nécessité de partager, et de relancer par des politiques adéquates, une vision commune concernant la croissance, la compétitivité et l’innovation ; de l’autre la nécessité (« des décisions stratégiques communes ne peuvent pas être adoptées au moyen de simples instruments de coordination » – italia2014.eu) de rendre plus efficaces et démocratiques la gouvernance et les mécanismes décisionnels européens, qu’il s’agisse du marché unique ou, spécifiquement, de l’union monétaire, sur la base de la road map, dessinée par les Quatre Unions (l’union bancaire, déjà pratiquement achevée, l’union économique et l’union fiscale – objet de fait des négociations en cours entre les gouvernements et dans le cadre des institutions européennes – et l’union politique).
Il s’agit d’un programme ambitieux qui va bien au delà du semestre de présidence et ce n’est pas un hasard si le gouvernement a voulu le caractériser par le rappel des idéaux les plus profonds qui ont animé le processus de l’unification européenne et de l’ambition de contribuer à faire naître les Etats Unis d’Europe ; un programme que l’Italie comme présidence en exercice, pourra donc contribuer à lancer en fixant certaines lignes directrices et certains accents pour la nouvelle législature qui s’ouvre. Le parcours ne sera pas simple comme l’a récemment souligné le Ministre Schäuble dans une interview relatée le 29 juin dernier dans le Financial Times (« Sur les réformes institutionnelles de l’eurozone… le gouvernement allemand a des projets clairs… Comme les réaliser pas à pas, est toujours un processus plus compliqué »). Mais il est avant tout important de mettre en évidence la pierre d’achoppement concrète à surmonter dans les temps les plus courts possibles. Comme l’explique Shahin Vallée (dans un essai de décembre 2013 From Mutual Insurance To Fiscal Federalism) il s’agit de la nécessité de lancer laconstruction, au niveau de la zone euro, d’un système fiscal fédéral, à partir d’un budget ad hoc qui conduise à le centralisation de certaines prérogatives de contrôle sur les politiques budgétaires nationales et de certains pouvoirs de politique économique. Et telle est la condition nécessaire, qu’il s’agisse de dépasser les limites actuelles du système de contrôle sur les politiques budgétaires nationales qui est seulement partiellement crédible et qui, dans un cadre intergouvernemental, rencontre des résistances très fortes sur le plan de la légitimité démocratique et n’arrive pas à s’améliorer ; ou qu’il s’agisse de « surmonter la faiblesse du cadre actuel de coordination et de remplacer la modeste capacité d’interférer dans les politiques économiques nationales, avec l’objectif de rendre possibles des décisions de politique économique efficaces, légitimes et structurelles, dans l’intérêt de l’Union tout entière » . Commencer à réaliser le fédéralisme fiscal dans le cadre de l’eurozone est donc la condition nécessaire i) pour surmonter la méfiance des pays de l’euro face à la nécessité de transmettre des parts supplémentaires de souveraineté nationale en faveur d’un pouvoir de contrôle européen ; ii) pour instaurer un climat stable de confiance réciproque ; iii) pour créer des ressources et une capacité décisionnelles au niveau européen pour réaliser un plan de développement supranational efficace ; iv) pour surmonter les difficultés liées aux changements institutionnels nécessaires pour résoudre le dilemme de la légitimité démocratique de manière que les citoyens de la zone euro puissent contrôler le gouvernement fédéral.
Le gouvernement italien peut travailler sur cette base à partir de ces premiers mois en affrontant, et aussi en utilisant les marges de manœuvre permises par les traités actuels, la question des accords contractuels pour les réformes et la croissance. Jusqu’ici, le gouvernement italien s’est limité à proposer d’utiliser la flexibilité déjà contenue dans les règles en vigueur comme incitation aux réformes ; mais, comme l’explique bien Lorenzo Bini Smaghi dans un article publié pour l’Istituto affari internazionali (IAI) le 8 juillet (L’Italia e le regole europee – I dilemmi della flessibilità), il s’agit d’un sentier trop étroit pour pouvoir imprimer un tournant, comme le démontrent aussi les discussions et les réserves par lesquelles il est reçu. La réalité, c’est que ces accords contractuels ne deviennent crédibles que s’ils sont associés au démarrage d’un mécanisme de solidarité supranationale de la zone euro, de manière que, en échange des contrôles sur la discipline des comptes nationaux et sur la capacité d’un pays à réaliser les réformes structurelles, il y ait des soutiens concrets en termes d’amortisseurs sociaux partagés ou d’investissements et de projets de développement communs fondés sur des ressources propres européennes.
La cession ultérieure de souveraineté nationale, devenue désormais indispensable, ne peut advenir qu’en échange d’une récupération de cette souveraineté au niveau européen et dans un contexte où sont institutionnalisées non seulement la discipline et les règles, mais aussi la solidarité et le partage de la politique économique. Pour dénouer ce dilemme, en retournant à la nouvelle législature européenne qui s’ouvre, le rôle que le Parlement européen saura jouer pour imposer un processus constituant, sera fondamental. Si, à l’intérieur du Parlement européen, se forme, dès le début, une avant-garde fédéraliste capable de faire mûrir, au sein de l’Assemblée, la volonté et le consensus nécessaires pour proposer l’architecture institutionnelle fédérale de la zone euro et les modalités sur la base desquelles réguler la cohabitation, à l’intérieur de l’UE, avec les pays hors de l’euro ; et si, dans le même temps, il y a la capacité d’établir une forte collaboration entre les principales forces politiques et entre les institutions, pour unir les composantes pro-européennes des partis, des représentants des institutions européennes et des gouvernements, alors, l’objectif d’une Union politique deviendra vraiment accessible et, pour notre communauté européenne, une nouvelle phase de grandes espérances et de grands projets s’ouvrira.
Publius